Ecrits

Voici les écrits romancés que j'écris. Se retrouveront ici plus de nouvelles que de romans, faute de temps pour les écrire.

 

Bonne lecture !

Sylvain Wells

 

La Noosphère

 

Sylvain Wells

 

 

                Christophe était nerveux. Il était déjà en retard d’une trentaine de minutes pour son travail. Au fur et à mesure qu’il roulait dans la capitale française, la tour de verre et d’acier se profilait à l’horizon modelé par les immeubles. L’Institut National d’Etudes en Psychologie et Sociologie, ou INEPS. Christophe gara sa voiture dans le parking prévu pour le personnel, sortit et admira l’édifice. Bien que de haute stature, il était minuscule devant ce monument se dressant vers le ciel. Il entra dans le bâtiment, saluant la personne chargée de l’accueil, prit l’ascenseur et monta directement au soixante-douzième étage. Il sortit de l’ascenseur pour entrer dans le « sas », une cabine ultramoderne récemment développée par une équipe de chercheurs japonais. Un système particulièrement sophistiqué scanna son corps, identifiant ses empreintes digitales et ses pupilles. Christophe prononça les mots : « Christophe Speinner ». L’ordinateur analysa toutes les données, identifia la voix, et afficha sobrement : « Christophe Speinner, département Etudes Globales, autorisation β+ ».

La porte du sas s’ouvrit dans un soufflement pneumatique, dévoilant des locaux blancs remplis d’ordinateurs, de chercheurs, avec un énorme écran géant au mur. Deux couloirs partaient de cette salle vers les bureaux suivants. Christophe traversa la salle d’un pas rapide pour éviter de se faire remarquer par ses collègues. Il prit le couloir au centre, puis bifurqua sur la droite, tourna deux fois à gauche, encore trois fois à droite et entra dans le quatrième bureau sur la gauche. Il y reconnut des visages familiers.

Il y avait là Steeve, qui calculait de façon hallucinante, Stéphane, théoricien en informatique et spécialiste en psychologie, et Anna, spécialiste de la coordination et professionnelle en communication. Il les salua :

-          Désolé pour le retard, mais je suis là, maintenant.

-          C’est pas grave, le soulagea Anne, on finissait juste les connexions réseaux.

-          Et… C’est bon, annonça Stéphane, j’ai fini !

-          Alors, commençons, compléta Christophe.

Les quatre jeunes gens réalisaient des études sur les humeurs globales de la planète. Tous les résultats, dont certains obtenus de façon plus ou moins acceptables, étaient protégés par un programme de sécurité conçu par Stéphane.

-          En fait, il y en a plusieurs, expliqua l’intéressé, qui une fois assemblés à l’aide d’un sous-programme coordinateur, forment comme une sphère de protection tridimensionnelle autour des données. De plus, le système se protège lui-même avec des programmes drones à envoyer.

-          Je n’en attendais pas moins de toi, Stéphane, lança Christophe.

Le lendemain, le programme de Stéphane, baptisé N-Force, détecta un intrus. Il le repoussa, et introduisit un programme espion dans le PC ennemi, ce qui permit à la police de le retrouver. Trois heures plus tard, N-Force était adopté par le siège de l’INEPS.

Les résultats du groupe proliféraient exponentiellement, ouvrant la voie à de « petites révolutions » en neuropsychologie, depuis qu’un laboratoire neurologique anglais travaillait avec eux pour les répercussions sur le cerveau. Stéphane s’obséda petit à petit à perfectionner N-Force, pour aboutir à N-Force v2.0, qui fut unanimement accepté par l’INEPS. Un jour, cependant, Stéphane arriva en soupirant :

-          C’est fini.

-          Qu’est-ce qui est fini ? demanda Steeve.

-          N-Force. Il est autonome, depuis que j’y ajouté des complexes informatiques auto-évolutifs conscients, et maintenant il se reprogramme tout seul. Il comprend ses erreurs et s’adapte en conséquence. Il se branche sur Internet tout seul, sauvegarde tout seul, produit tout seul.

Dans les jours qui suivirent, Stéphane restait seul devant son ordinateur, et ce pendant des heures. Anna estima qu’il était en dépression, Steeve calcula alors les probabilités en incluant un maximum de variables, et considéra que les risques étaient alarmants. Christophe songea à cet étrange paradoxe, un spécialiste en psychologie sombrant dans la dépression. Steeve se proposa d’aller lui remonter le moral chaque jour. Il n’y parvint qu’après un mois. Stéphane revint alors parmi le petit groupe, et aboutit à avec eux et le laboratoire anglais à une prothèse neuronale permettant de contrôler son cerveau par la pensée, en plaçant des électrodes directement dans le cerveau, amélioration d’un prototype créé quelques années auparavant, en 2007. Des personnes se dotaient ainsi d’un contrôle plus abouti de leur ordinateur, produisant beaucoup plus que les personnes utilisant leurs mains. Stéphane en offrit une à chaque membre du groupe, accélérant sa production.

Les recherches sur l’humeur globales évoluèrent pour représenter les pensées globales des 7 milliards d’êtres humains présents sur la planète, notamment en piratant les prothèses neuronales. Alors, le petit groupe constata des symptômes de « pertes totales de volonté », comme disait Christophe. Une enquête montra que les personnes sujettes à ces problèmes présentaient un comportement visant à allumer tous les ordinateurs possibles, puis à… s’arrêter de penser. Le plus souvent, elles s’allongeaient. La stupéfaction gagna les quatre amis. Tous se demandaient ce qui se tramait derrière leurs graphiques.

Christophe rentra chez lui, exténué et intuitivement inquiet. Il gara sa voiture, sortit, entra dans son appartement du 3e étage, dans le 15e arrondissement de Paris, ferma sa porte, prit une chaise, s’assit et ferma les yeux. Il souffla, se calma. Il ouvrit les yeux, et constata qu’il était assis devant son ordinateur allumé. Il s’était pourtant assis dans la cuisine ! Christophe repensa aux études sur les pensées globales. Non, il s’inquiétait pour rien. Après avoir éteint son ordinateur (les factures d’électricité atteignaient alors des sommets) et, considérant que la boule au creux de son ventre était due à la faim, il retourna dans la cuisine ouvrir un sachet de pâtes qu’il entreprit de cuisiner. Il bailla, puis ferma les yeux. La sonnerie du minuteur le rappela à l’ordre, immobilisant son doigt devant le bouton de démarrage de son ordinateur. Christophe se reprit tout de suite, et perçut dans son esprit comme une présence étrangère tapie dans des sombres recoins de son cerveau, une ombre dans le noir. Il essaya de la chasser, terrorisé par cette puissance occulte et maléfique allumant tous les ordinateurs. La « chose » s’empressa de sortir de son esprit, rechignant à ce combat peu discret. Christophe soupira de soulagement, puis fut terrifié par cette offensive contre laquelle il ne pouvait rien. Il se souvint d’un ouvrage de Bernard Werber,  où il était écrit que le mot apocalypse signifiait un fait « la levée du voile », la révélation. Il éprouvait la même sensation. Le fait de découvrir quelque chose qui lui faisait perdre tous ses moyens. Une idée qui apparut alors : allumer l’ordina…. Non !!! Christophe se sentit alors penser : « Si, allume d’ordinateur ! ». Christophe lutta, lutta tant qu’il put, de toute son âme, gagnant du terrain, reprenant des zones du cerveau, comme le thalamus, qui contrôle l’ensemble du cerveau, et l’hypothalamus, qui surveille le thalamus. Mais à un moment la « chose » s’empara de la zone contrôlant son doigt gauche, et appuya sur le bouton de démarrage de l’ordinateur, puis se replia intégralement autour de cette zone. Christophe, de sa main valide, s’empara de son index gauche pour l’empêcher de taper le code d’identification de sa session Windows. Mais, à sa grande stupéfaction, le mot de passe s’afficha tout seul et sa session s’ouvrit, et se connecta automatiquement à Internet. Christophe, tout à son étonnement, abandonna toutes ses positions neuronales, et perdit tout contrôle. Il tomba dans le coma, après avoir entendu son micro-onde exploser.

Christophe reprit conscience, sans pour autant ouvrir les yeux. Il savoura cet instant de vie, entre coma et conscience, avant de s’éveiller complètement. Ce qui, pourtant, arriva très vite. La première pensée de Christophe, une fois éveillé, fut « j’ai mal ». Il avait mal partout, des orteils aux cheveux, et particulièrement à la tête. Il ouvrit les yeux, et vit des locaux blancs, puis des visages : Steeve, Stéphane, Anna. Les vrais amis, on les reconnaît dans ces moments là, où l’on est plus vulnérable. Christophe émit un gémissement ravi. Anna y répondit par une seringue qu’elle planta dans son bras. Christophe eut très mal, puis plus du tout. Il se leva et demanda :

-          Qu’est-ce que tu as mis là-dedans ?

-          Une solution saline, du thiopental, du chlorure de potassium, et quelques autres trucs…

-          Euh… très bonne idée. Enfin, merci, en tout cas.

-          Alors, maintenant, interrogea Stéphane, que diable as-tu été faire à ton micro-ondes ?

-          Et bien, résuma Christophe, je suis arrivé chez moi, j’ai fermé la porte, je me suis assis dans la cuisine, et j’ai fermé les yeux. Quand je les ai ouverts, j’étais assis devant mon ordinateur allumé.

-          Tient donc, fit Steeve.

-          Alors, j’ai éteint mon ordi et j’ai été préparé des pâtes, j’ai baillé, et j’ai été réveillé par la sonnerie de mon minuteur, l’index gauche devant le bouton de démarrage de mon PC ! Alors, j’ai senti comme une présence dans ma tête, contre laquelle je dû lutter mentalement. Mais cette chose s’est emparée de mon index gauche, et a allumé mon ordi. Alors, avec la main droite, j’ai attrapé mon doigt pour l’immobiliser, et mon mot de passe est apparut seul à l’écran, sans que le clavier soit effleuré ! Ma session s’ouvrit et se connecta à Internet ! Alors, tout à mon incrédulité, je me suis évanoui après avoir entendu mon micro-onde exploser.

-          Et ben bon sang ! Lança Steeve.

-          Tu penses que ça a à voir avec nos recherches ? demanda Anna.

-          A ton avis ? fit explicitement Christophe. Et, au fait, vous avez comparé nos résultats aux autres ?

-          Non… pas tout à fait…

-          Pourquoi ?

-          Tout est bloqué, lâcha Steeve, impossible d’accéder aux données.

-          Super, il ne manquait plus que ça !... Qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ?

C’est à ce moment précis que la porte coulissante vola en éclats, sous le poids d’un groupe de cinq personnes de l’INEPS. Les visages des trois amis se tournèrent vers les nouveaux venus, qui tenaient des fusils à balles électrisantes appartenant à la sécurité de l’immeuble. Christophe se jeta de côté, Steeve se mit au centre et esquiva toutes les balles, calculant les trajectoires des projectiles en fonction de l’œil de ses adversaires, tandis qu’Anna saisissait des fléchettes paralysantes, et les lançait sur les ennemis. Christophe arriva par le côté, dos au mur, et se retourna pour décrocher un coup de pied dans le ventre du premier adversaire en vue, qui plia. Anna tira une fléchette qui alla se ficher droit dans le torse de la personne juste derrière, tandis que Steeve se jetait sur le tas d’ennemis, neutralisant l’adversaire de Christophe du plat de la main dans la nuque. Un commando de quinze membres de la sécurité arriva, fusils de précision à balles électrisantes, des grenades aveuglantes et fumigènes. Tous étaient vêtus de combinaisons spéciales pare-balles, lunettes de vision nocturnes et thermiques. Le combat était bien sûr inégal, Steeve cria l’ordre de repli, mais la seule issue était bouchée. Alors, Christophe prit son élan et traversa la vitre du soixante-douzième étage, bientôt suivi de Steeve et Anna.

Tous étaient descendus…. à l’étage en dessous. Christophe s’était au dernier moment accroché au bord de la fenêtre, et avait brisé la vitre du soixante-et-onzième étage, entrant dans le bureau heureusement inoccupé. Steeve et Anna avaient fait de même. A ce moment, quelqu’un entra dans le bureau. Anna le mit en joue, Steeve prit position, prêt à sauter, et Christophe se jetait de côté dans l’espoir d’assommer l’ennemi par derrière. Mais tous s’arrêtèrent.

Christophe était tellement abasourdi qu’il ne comprit même pas de cri d’Anna, dont le nouveau venu y répondit par un enthousiaste « Oui ! ». Le « oui » était une onde dans l’air, qui venait d’une bouche, qui servait d’intermédiaire au larynx. Dans ce larynx, des cellules, sont le noyau contenait l’ADN, molécule conservant un code identifiant tous les individus. Et ce code correspondait à un humain sobrement baptisé :

 

-          Stéphane !

Le cri parvenu aux oreilles de Christophe, qui accueillit son ami avec enthousiasme. Les questions fusèrent :

-          T’étais où ?

-          Comment t’as fait ?

-          Qu’est-ce que t’as fait ?

-          Alors, répondit Stéphane, quand Christophe s’est réveillé, j’ai eu l’intuition qu’il y avait comme un problème. Alors, je me suis éclipsé, je suis passé par la remise de la sécurité et j’ai… pris quelques trucs.

Il montra des combinaisons spéciales.

-          Ensuite, je les ai planquées dans mon sac, et je suis parti vers le sas, et je l’ai… déréglé. Ensuite, de suis retourné au bureau, mais j’ai vu le commando, alors j’ai pris les escaliers pour arriver ici.

-          Fantastique ! Et les combinaisons ?

-          Elles sont équipées de gants et de semelles d’escalade, avec micro-crampon, comme les geckos. On va pouvoir descendre, et gagner… un endroit plus approprié.

-          Allons-y, suggéra Christophe, avant que les zombis ne reviennent.

-          Les zombies ?

-          Les types qui nous ont attaqués. Je pense qu’ils sont possédés par la chose.

-          Ta chose, là, elle me fait penser à un concept énoncé par Vladimir Vernadski et Teilhard de Chardin, qui pensaient qu’il existait une sorte de nuage d’idées, qu’ils appelaient « noosphère », où le cerveau droit irait puiser ses pensées, se souvint Anna.

-          Hum, toussota Steeve, on ferait bien d’y aller…

-          Tu as raison.

Les quatre amis enfilèrent les combinaisons, et descendirent la paroi. Leurs mains agrippaient les vitres dans les casser, leur permettant un parcours simple. Quand ils furent arrivés en bas, Steeve prit sa voiture, et le groupe monta. Ils roulèrent dans Paris, et choisirent de s’abriter temporairement dans un hôtel.

Christophe était allongé sur le premier lit, Stéphane le deuxième, Steeve sur une chaise et Anna sur le canapé. Christophe repensait à leur épopée. Tout s’était passé si vite. Leurs études, la chose, l’évanouissement, l’attaque, les retrouvailles, la fuite. Christophe se demanda ce qu’il y avait après. Il ferait sûrement… La noosphère ! Christophe se mit tout entier à la défense de son esprit pour préserver son libre-arbitre. La noosphère lançait les attaques de manière spasmodique, attaquant, se repliant, se repositionnant, réattaquant. Ainsi, elle créait des attaques par derrière, sur le flanc, surprenant toujours Christophe.

Alors, celui-ci réorganisa complètement sa défense. Pressentant une attaque de la noosphère, il dégagea un passage sur la trajectoire de son adversaire, qui s’y engagea d’un coup. L’ennemi se heurta à un mur, mais avant qu’il ait pu se replier, Christophe l’emprisonna au cœur du corps calleux, comprenant la noosphère. Celle-ci paniqua, mais réussi à s’échapper. Christophe reprit possession de son cerveau. Il lâcha un profond soupir, se leva, et déclara :

-          La noosphère nous attaque. Je viens de finir un combat contre elle.

-          Quoi ? s’exclamèrent simultanément ses camarades.

-          Oui, mais elle s’est échappée. J’ai dans l’idée que si nous nous unissons tous les quatre, un de nous pourrait, protégé par les autres, partir chercher la noosphère dans son repère, et mener une attaque de grande envergure par la suite.

-          Ça peut marcher, estima Steeve.

-          Oui, d’accord, annonça Anna.

-          O.K., conclut Stéphane.

-          Alors, on s’assoit en cercle, moi au centre : je connais la noosphère.

Et ce fut fait. Au dernier moment, Christophe annonça :

-          Mais non, je ne peux pas suivre la noosphère si elle ne vient pas d’elle-même.

-          Alors, on fait quoi ? demanda Stéphane, agacé.

-          Et bien, on attend, et si elle arrive, on se connecte.

-          O.K., acquiesça Anna.

Ainsi, ils patientèrent jusqu’à ce que des bruits de porte coulissante se fassent entendre sur le parking. Steeve jeta un coup d’œil, et annonça, l’air grave :

-          Ce sont eux.

-          Les zombis ?

-          Oui.

-          On se tire.

-          Et on va où ?

-          A l’INEPS.

-          Quoi ?

-          C’est peut-être le seul endroit qu’ils ne fouilleront pas.

-          OK, on descend par la fenêtre. Christophe, à toi l’honneur, annonça ironiquement Anna.

Christophe ouvrit donc la fenêtre, et descendit, bientôt suivi par Steeve, Anna et Stéphane. Ils prirent la voiture, et retournèrent donc à l’INEPS. Ils s’installèrent dans leur bureau, dont la porte avait été changée, ainsi que la fenêtre. Stéphane craqua le code et ouvrit la porte. Ils prirent place dans les locaux quand Christophe s’exclama :

-          La noosphère !

-           Attends, fit précipitamment Steeve, je ferme la porte…. Voilà.

-          Quand elle attaque, la noosphère repaire où nous sommes en s’emparant furtivement de nos yeux. Il faut rester constamment en mouvement.

-          Non, attends, fit Anna. Et si on installait des écrans muraux sur tout le bureau ?

-          Excellente idée ! approuva Christophe.

-          J’en ai là, signala Steeve.

-          Alors, commençons, compléta Christophe.

Ainsi, ils installèrent les écrans, projetant un kaléidoscope de couleurs reprenant les tableaux de Salvador Dali. Alors, ils commencèrent.

-          Assis !

La noosphère lança l’attaque. Elle se heurta à un mur de volonté et d’esprit déterminé. Elle chercha une faille, n’en trouva pas. Elle explora autour, et trouva trois autres humains. Elle les analysa, vérifiant leurs défenses. Et elle trouva ce qu’elle cherchait. Enfin ! Maintenant, ramener la cavalerie au bon endroit.

                « Elle s’en va, pensa Christophe, elle s’en va ! » Il avertit les autres, qui se positionnèrent dans son cerveau, empêchant de nouvelles attaques. Et il partit avec tout son esprit, gardant la tête froide.

Christophe eut la sensation de s’élever. Il montait dans le ciel, dépassant la troposphère. La noosphère voyageait loin. Le chemin, bien qu’immatériel, était long et difficile, car il ne fallait pas perdre l’ennemi de vue, tout en restant discret. Cependant, Christophe ressentait les « pensées » de la noosphère, ou du moins ces émotions. De la hâte, de la frénésie, une représentation du futur, et comme un écho : « ramener la cavalerie au bon endroit ». Christophe songea qu’il y réfléchirait plus tard, car la noosphère s’était arrêtée devant un véritable monument d’esprit. Elle s’y engouffra, empêchant Christophe de continuer. Mais il s’en désintéressait déjà, tout à sa béate contemplation de la véritable Noosphère. La petite chose qui lui rendait visite n’était que l’un des sbires de cette exubérance. Il continua de loger le mur de la Noosphère, cherchant un quelconque point faible. N’en trouvant point, il entama un retrait pour faire part de sa terrible découverte aux autres membres du groupe.

-          La Noosphère n’est qu’un émissaire envoyé par la véritable Noosphère ! Et celle-ci est des centaines de fois plus puissantes que nous !

Steeve réagit le premier :

-          Comment ça, un émissaire ? Et qu’entends-tu par « puissante » ?

-          Eh bien, ce qui nous attaquait n’est en fait qu’une faible unité utilisée par la Noosphère. Et celle-ci est en quelque sorte grande.

-          Comment ça ? demanda Anna.

-          C’est un véritable monument, expliqua Christophe, dépassant la troposphère et sûrement la stratosphère !

-          En considérant que nous soyons à taille humaine ?

-          Oui, fit Christophe, agacé.

-          Et cette chose qui nous attaquait, intervint Anna, elle représenterait un policier ?

-          Ou un éclaireur en vue d’une attaque dévastatrice, lâcha Steeve, maussade.

 Une idée soudaine illumina le cerveau de Christophe :

-          Il faut absolument que nous nous préparions à une interception.

-          Quoi ?

-          La noosphère va contacter ses sbires humains !

-          Pourquoi ?

-          Elle doit savoir où on est. Il faut décoller et intercepter le postier, le facteur.

Devant le regard interrogatif de ses amis, Christophe précisa :

-          Le postier est le sbire qui nous attaque, l’éclaireur. Aller, on se bouge ! Ou plutôt, on s’assoie.

« Postier à dix heures ! » Le cri résonna dans les esprits des quatre amis. Ils virèrent à gauche virant droit sur l’ennemi. Ils l’encerclèrent rapidement. Les esprits simple avaient une forme fantomatique humanoïde, et pouvait se battre au moyen de pensées exercées sur le « corps », ou plutôt l’aura de leur ennemi. Le groupe était soudé, mais le sbire avait l’expérience du combat. Celui-ci avait la forme d’un nuage impalpable, mais loin d’être invulnérable. Certes, les amis ne pouvaient bien distinguer les effets que créaient leurs pensées offensives, mais à un moment le postier prit la fuite. Les quatre le poursuivirent, puis, tout en continuant la course, établir un plan. Il fut convenu que Stéphane et Christophe partiraient devant, que Steeve viserait et indiquerait à Anna où tirer. Christophe partit donc, suivi de son ami, et ils vinrent au devant du postier. Ils le détournèrent d’un tir croisé, principalement constitué de pensées visant à faire naître un fort sentiment de remords. Le sbire se détacha, évitant les attaques répétées des deux compères. Non loin, Steeve se livrait pour la première fois à des calculs tridimensionnels pratique avec pour seule et unique référence un espace dont il na connaissait pas la moitié des règles. Finalement, et avec une marge d’erreur effroyable, il donna l’ordre de tir. Anna visa, et abattit le postier d’un précis coup de rancune. Le nuage se désintégra, emportant avec lui une partie de la noosphère. Tous redescendirent.

-          Alors, maintenant, on fait quoi ?

La sempiternelle question résonna longuement dans le bureau cerné d’écrans. Tous se le demandaient, ce qu’ils allaient faire maintenant. Christophe savait, comme tout le monde, ce qu’il fallait faire, mais c’était si simple et évident qu’il devenait absurde de le rappeler. Or, il l’était encore plus de laisser s’installer cet oppressant silence au lieu de formuler une hypothèse, fut-elle connue de tous, et de l’étudier ensemble. Il prit donc la parole :

-          Il faut trouver une faille et lancer une attaque de grande envergure.

-          Ou bien, proposa Steeve, on pourrait lancer furtivement l’offensive sur un point vital de la Noosphère.

-          Déjà, il faut la repérer, rappela Anna.

-          Attends, interrompit Stéphane, attends un peu. Tu nous demande de retourner là-haut, sans plan d’attaque, ni de défense. Tu veux que l’on retourne à la merci de l’ennemi ultime ? Et s’il envoyait ses autres sbires pour nous bloquer, ou qu’il nous engloutissait, ou qu’il envoie des spéciales prendre furtivement le contrôle de nos cerveaux, ou encore qu’il rameute ses sbires humains pour nous tuer pendant que nous voletons dans l’ionosphère ? On a déjà eu de la chance qu’elle ne mobilise qu’un postier pour la transmission de ses ordres, et que ses fantassins soient occupés en Afrique.

Aucun son ne put franchir les lèvres de Christophe, de Steeve ou d’Anna. Les trois avaient écouté bouche bée leur ami pendant qu’il exposait précisément les systèmes d’attaques, de défense et d’alertes, les stratégies, les positions, les projets et les cibles de la Noosphère. Les yeux de Stéphane se voilèrent, ses mains rejoignirent rapidement son front et sa tête bascula vers l’avant. Il fronça les sourcils, pinça les lèvres. Il lâcha un juron et se tut. L’oppressant silence s’installa, et Christophe regrettait presque de ne pas l’avoir laissé faire plus tôt. Et cette fois-ci, il n’avait pas d’hypothèse à formuler. Il sentait que c’était à Stéphane de diriger, maintenant.

-          Alors, Stéphane, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

C’était Anna qui venait de parler.

-          Tu as sûrement une idée, Stéphane.

-          Moi, fit Steeve, j’ai une idée : qu’on bâillonne ce traître !

-          Désolé, lâcha Stéphane.

-          Désolé ! Désolé ! Voilà qu’il est désolé !

Steeve éructait.

-          Il nous a trompés ! Il nous a manipulés ! Il nous a vendu pendant le regroupement avant le décollage de Christophe. Il a failli nous tuer ! Il a mit ta vie en danger ! Il a révélé à la Noosphère notre position !

-          Tais-toi.

-          Quoi ?

-          Tais-toi, intima Christophe, laisse-le s’expliquer.

-          Mais a failli te tu...

-          TAIS-TOI !!!

Christophe venait de hurler, réduisant automatiquement les protestations de Steeve à un silence tout sauf oppressant.

-          Vas-y, Stéphane.

-          Dès le début. Dès le début, j’ai senti qu’elle voulait m’avoir pour elle. Elle avait besoin de moi, ou ne voulait pas que je puisse aider quiconque. J’ai dû céder, pour mieux vous aider. Mais à chaque fois, elle s’énervait, elle reprenait le contrôle de moi. Je ne pouvais agir que ponctuellement, et des actes sans grande gravité. Quand Christophe s’est réveillé, j’ai senti une colère monter en moi. Alors, j’ai fermé ma conscience, et je suis parti chercher des choses pour nous aider. Je nous ai emmenés dans l’hôtel, car je savais que j’y guiderai la Noosphère. Mais je devais improviser, car si j’avais un plan établi, elle le saurait et le compromettrait. Et ainsi, je regagnai peut-être sa confiance. J’ai surtout réussi quand elle est venue nous attaquer. Pourtant, je ne l’ai même pas fais exprès. Elle a trouvé mon téléphone portable, et s’est servie du GPS intégré. Je savais qu’on devait y aller, mais je sentais confusément qu’il ne fallait pas. Quand nous étions assez près, j’entendais la Noosphère qui coordonnait ses attaques. Je les ais mémorisées, et je me suis battu de mon mieux, contre le postier et contre la Noosphère, qui essayait de dévier mon tir vers Christophe. Quand Anna a descendu le postier, la pression ne faisais quasiment plus effet. Il devait être policier, comme l’avait suggéré Anna, car je pense qu’il me surveillait toujours, pour une meilleure emprise sur moi. Mais maintenant, je crois savoir ce qu’il faut faire. Il faut effectivement retourner là-haut, savoir précisément à quel ennemi nous avons affaire.

Il n’y eut aucun commentaire, que des acquiescements et des actions. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils étaient prêts. Une seule injonction vint briser le silence :

-          Attendez.

C’était Stéphane.

-          Vous devez d’abord retirer vos prothèses neuronales.

-          Nos prothèses ?

-          Oui. C’est vital. Et avant de partir, nous devons les mettre à l’hôtel.

Ce fut fait. Quand ils revinrent dans le bureau, Stéphane réclama une dernière fois l’attention :

-          Maintenant que nous sommes tous les quatre, il nous faut un nom.

-          Lequel ?

-          Les Pensaronautes. Du latin pensare, peser, et nautès, voyageurs. Voyageurs de la pensée.

-          OK.

-          Alors, commençons.

Les pensaronautes se rapprochaient de la Noosphère, et esquivaient tous les sbires qui passaient. Ils arrivèrent finalement près de la Noosphère quelques temps après. Chacun partit dans une direction, longeant le mur le plus vite possible. Ils revinrent tous au point de départ, ne voyant pas de fin à la Noosphère. Ils repartirent tous dans une seule et unique direction. Lorsque Steeve, Anna ou Christophe s’inquiétaient quand à la nuisance possible de l’ennemi tapi derrière le mur qu’ils longeaient, Stéphane les rassuraient, disant toujours « Nous sommes hors de portée ». Même si personne d’autre que lui ne voyait comment ils auraient pu être plus près que cela de la Noosphère, aucun n’émettaient de doute sur la parole de Stéphane. Cependant, heureusement que les cheveux d’Anna étaient des images de la pensée de leur propriétaire, car un rayon de détermination froide traversa soudainement ceux-ci.

Branle-bas de combat dans l’ionosphère. Anna tirait tel un sniper, suivant les instructions de Steeve. Christophe mitraillait à tout va les dizaines d’ennemis qui se dirigeaient vers eux. Stéphane resta interdit et profondément inquiet. Il se résolut à hurler de terreur :

-          Elle s’émancipe !

Il ordonna un repli rapide, qui fut mit en application en très peu de temps. Quand ils revinrent dans leur corps, Stéphane ne parla pas. Il affichait un air extrêmement pensif. Soudain, son visage s’illumina, il se leva et ordonna :

-          On y retourne.

-          Quoi ???

-          Faîtes-moi confiance. Je sais ce que je fais. On doit y retourner.

-          Si ça ne marche pas…

Les pensaronautes arrivaient devant la Noosphère. Stéphane envoya quelques coups d’ironie, pour détendre l’atmosphère. Ils se positionnèrent aux mêmes endroits. Stéphane donna ses ordres, pour les positions et les rôles. Christophe mitraillera, Anna et Steeve viseront, et lui mènerait l’assaut depuis l’avant. Les sbires arrivèrent par centaines, et encerclèrent les quatre amis. Ils firent feu. Soudain, ils furent tous touchés par la silhouette qui retournait le combat d’un coup puissant. Le cri résonna : « Stéphane ! » Et ce cri désignait le tireur.

Les quatre furent emmenés. Ils étaient immobilisés par les sbires, mais ils pénétrèrent enfin dans la Noosphère. Tout était noir, à l’exception de longs filament s de lumière bleue-verte qui formaient, de ce que les pensaronautes pouvaient voir, une gigantesque forme toroïdale.

Tous les regards étaient tournés vers Stéphane. Dès que les sbires les laissèrent seuls dans un coin d’où ils ne pouvaient sortir sans être dépossédés de leurs forces, tous hurlèrent :

-          STEPHANE !!!

-          Du calme, du calme.

-          AAAARGHH !!!

-          Ca va, ça va.

-          Tu as deux minutes pour t’expliquer…

-          Le cheval de Troie. Nous sommes à l’intérieur, maintenant. Et je sais ce que nous devons faire.

-          Explique.

-          La Noosphère est en fait la réplique de la structure informatique N-Force. Il est autonome, et maintenant, il s’est émancipé du monde informatique pour prendre place ici. Ses sbires sont les programmes espions que j’envoyais dans les PC ennemis. Et le seul moyen d’en venir à bout, je le sais bien, c’est d’entrer à l’intérieur et de provoquer LE BUG. Il va détruire la Noosphère et tous ses sbires. Je vous ai neutralisés tout à l’heure pour être sûr que vous serrez tous là pour la destruction finale. Il faut accéder au centre.

-          La Noosphère entoure la Terre ! C’est une sphère creuse ! Il n’ya a pas de centre !

-          Si. N-Force, dans les locaux de l’INEPS. Mais il est impossible d’y accéder manuellement, alors j’ai eu l’idée d’en prendre le contrôle depuis le seul endroit possible : la Noosphère. Maintenant, il faut utiliser un sbire informatique qui partira de N-Force. C’est de là que parte les sbires informatique, grâce un système de pliage spatio-temporel, mais c’est du ressort de l’astrophysique et de la mécanique quantique. Il suffit de faire naitre un programme.

-          Et, on fait ça où ?

-          Alors, Christophe, tu vas mitrailler le tour de cette « cellule ». Steeve, calcule la courbure de l’espace-temps autour de nous, pour permettre à Anna de tirer au centre, de façon à ce que l’énergie se réfléchisse sur toute la surface de la pliure.

Et ce fut fait. Quand le rayon d’Anna jaillit, il brisa la cellule, ce qui les projeta en-dehors de celle-ci.

Les pensaronautes localisèrent un point générant des sbires. Stéphane fit le nécessaire dessus.

                S-05ia26o57 était né. Et il devait mourir en provoquent un changement dans les codes informatiques de N-Force. Il se déplaça, trouva le centre. Il s’y brancha. Il analysa les informations qui passaient par ces capteurs. Il en intercepta une ligne de code. Il la remplaça par une copie de la sienne. Celle-ci se répandit, détruisant la sphère de l’intérieur. Les programmes qui appuyaient si fort les uns sur les autres s’écroulèrent. S-05ia26o57 était mort, la liberté était ressuscitée dans l’informatique.

La moitié de la planète reprit conscience. Tous les habitants de cette partie de la population étaient libérés de l’emprise exercée sur leur prothèse neuronale était finie. La liberté matérielle était ressuscitée.

La Noosphère implosa. Elle s’effondra sur elle-même, générant une vague de pensées qui secouèrent l’autre moitié de la population mondiale. La puissance qui s’exerçait sur leur esprit était détruite. La liberté de pensée était ressuscitée.

 

-          On a réussi !

-          Ouais, merci Stéphane !

-          Je n’ais fais que raisonner.

-          Et nous sauver !

Ils étaient tous réunis dans leur bureau. Les écrans avaient laissé place à de véritables tableaux et d’autres décorations. Le champagne remplissait les flûtes. Les bouches vidaient les flûtes. Et ça recommençait.

Etrangement, personne ne parla de la Noosphère. Tout était oublié. Il était vrai que les cerveaux étaient quelque peu secoués, mais même les résultats des études avaient disparues. Aucune trace. Seule subsistait la mémoire des Pensaronautes. Et la vie reprit son cours, avec ses aléas. Les pannes de réveils en faisaient partie.

Christophe était nerveux.

 

 

FIN